Il est possible de former des jeunes au solaire en zone rouge au Burkina Faso malgré les dangers. Ce projet a permis de lutter contre la précarité et donc contre la radicalisation de ces jeunes. Pour leur donner un avenir, l’ONG A2N a formé 50 jeunes à l’installation de panneaux solaires, avec l’aide de Benoo. Interview d’Oumar Cissé, directeur d’A2N.
Former 50 jeunes à la maintenance de panneaux solaires dans une zone de conflits au Burkina Faso : telle est la mission du projet F12 Sahel mis en œuvre par A2N, grâce à l’appui technique et financier de Expertise France à travers le Fonds Fiduciaire de l’Union européenne.
A2N Nodde Nooto est une ONG (Organisation Non Gouvernementale) burkinabè labellisée ARUP (Association Reconnue d’Utilité Publique) créée en 1996. Elle a pour objectif de se mettre à l’écoute et d’agir avec les communautés et les partenaires pour un développement durable au Burkina Faso.
Benoo a interviewé son directeur à propos du projet F12 Sahel.
Benoo : quel est le rôle de l’ONG A2N ?
Oumar Cissé : A2N a pour objectifs principaux de :
- Appuyer les organisations locales pour une meilleure gestion des ressources de leur milieu
- Accompagner les collectivités territoriales dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs plans de développement
- Créer les conditions d’une plus grande résilience des communautés face aux effets néfastes des changements climatiques
- Favoriser la prise en compte du genre dans le développement économique et social de leur zone
On observe une radicalisation inquiétante des jeunes dans certaines localités du Burkina Faso. Quelles sont les actions de A2N pour lutter contre ce phénomène ?
Cette crise a des racines sociales endogènes (pauvreté, manque de services publics, violences policières, etc.). La radicalisation des jeunes trouve son origine dans les inégalités sociales qui minent nos sociétés. Particulièrement en Afrique et plus précisément au Burkina Faso, les Etats ont toujours été incapables de partager équitablement les richesses nationales entre toutes les populations.
Depuis les indépendances, les pouvoirs publics n’ont jamais pu offrir aux populations les services sociaux les plus essentiels notamment en ce qui concerne l’accès aux soins et à l’éducation.
Résultat, la grande majorité de la population est confrontée à un manque de tout et à une extrême pauvreté. Sans éducation, sans formation, l’avenir des jeunes se résume à une chose : la précarité. Ce qui naturellement les livre à toutes sortes d’entreprises de criminalités dont l’extrémisme violent.
En quoi a consisté le projet F12, réalisé avec le concours de Benoo ?
Le projet F12 Sahel est justement une réponse au phénomène de précarité des jeunes. L’objectif est de former les jeunes à la maîtrise d’une ingénierie de premier niveau en énergie solaire pour leur permettre de créer des microentreprises dans une zone où la demande est réelle car l’accès à l’énergie est très faible.
C’est donc un projet à double intérêt :
- Mettre à la disposition des populations de l’énergie propre et bon marché
- Créer des emplois pour les jeunes
C’est un bon attelage. Nous avons réussi car les jeunes formés à travers ce projet sont parmi les meilleurs, sinon les meilleurs des trois régions où le programme emploi dans les zones frontalières du Burkina Faso, piloté par Expertise France, a été mis en place.
En quoi ce projet de formation de jeunes à la maintenance d’installations solaires peut aider à la lutte contre la radicalisation ?
Les jeunes sont minés par le chômage. Au Burkina Faso, la pauvreté des jeunes est un phénomène grandissant, et naturellement, c’est une situation qui les livre aux recruteurs des groupes radicaux terroristes qui sont prêts à payer des salaires conséquents à ces jeunes. Le choix est vite fait face à la pauvreté, à la précarité et au manque de perspectives d’avenir. Donner une formation et un accompagnement vers l’emploi, c’est offrir une alternative concrète aux dérives.
Certification des apprenants du Projet F12 Sahel exécuté par A2N
Vous travaillez en zone rouge au Burkina Faso. Quelles sont les contraintes dans votre travail au quotidien ?
Les contraintes sont énormes. Nous sommes obligés de prendre des dispositions conséquentes pour continuer à travailler. Nous évaluons régulièrement les risques que nous encourons sur le terrain, mais nous avons fait le choix de continuer à travailler partout où les populations sont restées.
Évidemment nous ne prenons pas des risques inutiles, nous ne mettons pas en danger inutilement les vies de nos agents, même si le risque zéro n’existe nulle part.
On peut être victime du terrorisme partout, à Paris, à New York, à Madrid, à Bombay, à Ouagadougou ou à Djibo. Mais il est hors de question de nous laisser limiter par nos peurs. Nous allons continuer à aller partout où nous pouvons être utiles aux populations. Et aujourd’hui encore plus, étant donné que l’Etat les a abandonnées.
Dans quel état d’esprit sont les jeunes entrepreneurs que vous avez formés ?
Ils sont une fierté pour nous ! Ils se sont classés premiers dans tous les concours d’entrepreneuriat organisés au niveau national. Ils sont déjà sur des chantiers, ils sont très sollicités et nous en sommes fiers. Ils sont des modèles pour les autres jeunes et nous sommes en train de les aider à mettre en place des entreprises où ils emploieront, eux aussi, d’autres jeunes.
Les jeunes entrepreneurs formés ont-ils aujourd’hui un revenu stable grâce à cette formation ?
Sur les 50 jeunes que nous avons formés, une vingtaine d’entre eux sont aujourd’hui presque de jeunes entrepreneurs, notamment grâce aux “kits métiers” fournis par Benoo pour des activités liés au froid ou à la bureautique.
Certains arrivent également à engranger des marchés d’installation de kits énergie solaire dans les écoles, dans les centres de santé en milieu rural et aussi pour des particuliers. Leurs opportunités sont limitées par la situation sécuritaire dans la région.
Récemment j’ai eu l’occasion de discuter avec l’une d’entre elles qui avait obtenu un marché important mais dans une localité où sévissent des groupes armés terroristes. Elle était désemparée car, en même temps que le marché qui aurait pu être une opportunité importante en termes de financement, il y avait d’énormes risques.
C’est un dilemme auquel chaque personne est confrontée chaque jour dans cette zone : partir ou continuer à vivre dans la peur au risque de tomber à tout moment sur les balles assassines d’un terroriste.
En savoir plus sur les projets d’implantation solaire et de formation de Benoo